Tous les paysages ont deux histoires. La première peut être qualifiée de matérielle. Le paysage y est envisagé comme une réalité concrète, qui comprend des éléments physiques (roche, sol, climat, végétaux) et les produits des actions humaines qui ont concouru à son façonnage comme l’activité agricole (terrasses, bocage…). La seconde histoire est immatérielle. Elle considère l’évolution des perceptions et représentations qu’il inspire et qui qualifient un territoire. C’est ainsi que les « paysages de l’élevage » constituent un véritable capital culturel, identitaire, écologique qui participe à l’attrait touristique et à l’économie des territoires.
Paysages de l’élevage, paysages séculaires
On peut considérer le paysage comme une scène qui se compose d’un arrière-plan (lignes du relief) et de motifs ou objets liés aux formes d’utilisation du sol. Dans le cas des paysages de l’élevage, ces dernières associent principalement l’herbe qui varie suivant les espèces fourragères, les saisons, les modes d’exploitation (pâturage, fauche) ; l’arbre (isolé ou aligné dans les haies, en pré-bois ou pré-verger), l’eau (ruisseaux, canaux, mares, abreuvoirs…) et évidement l’animal avec ses races différenciées. Mais il faut aussi compter avec les aménagements liés à l’activité agricole : la pierre des murs, terrasses ou bâtiments qu’ils soient traditionnels ou modernes (granges, étables, bergeries, hangars, logements, cabanes pastorales, etc.).
Historiquement, les éleveurs ont toujours joué un rôle important dans la création, le maintien et l’entretien de nombreux paysages ruraux français : bocage, champs ouverts, marais, landes, estives, etc. Dans l’Ouest ou le Nord-Ouest, l’élevage s’appuie sur un bocage historique assez fermé et basé sur un maillage de prairies, céréales, haies et talus. Sur les périphéries nord et ouest du Massif Central (Charolais, Limousin), les bocages à plus grande maille ont mieux résisté. Les parcellaires sont plus ouverts dans les « openfields » (littéralement champs ouverts) herbagers de Lorraine. Les montagnes humides des Vosges, du Jura et du haut Massif Central sont très herbagères et forestières, parfois bocagères dans les vallées tandis que les plus hautes prairies sont utilisées en estives. Dans les Alpes et Pyrénées, les prés de fauche en vallée se combinent avec les zones de pâturage d’altitude et leurs chalets d’alpage. Un paysage agro-pastoral fondé sur la mosaïque de vastes terrains de parcours, plus ou moins boisés, et de terres labourées (céréales, prairies) règne traditionnellement dans la majeure partie des moyennes montagnes (Massif central, Pyrénées, Alpes du Sud, Corse) ainsi que dans les plaines ou plateaux au climat sec ou aux sols médiocres (causses, collines méditerranéennes…). Un symbole récent de la valeur universelle exceptionnelle de ce type de paysages est le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2011 des paysages culturels de l’agro-pastoralisme méditerranéen des Causses et Cévennes.
Paysages en évolution et mesure de protection
Aujourd’hui, les paysages d’élevage représentent un patrimoine fragile, menacés par la disparition de cette activité. Dans certaines régions, on peut parler de banalisation par la simplification des systèmes de production agricole. Des motifs paysagers sont alors éliminés (arbres isolés, haies, talus, murs, bosquets, canaux...). On estime que 70 à 75 % du réseau de haies français a disparu depuis 1960 pour permettre un remembrement des parcelles et la mécanisation. Des réimplantations sont aujourd’hui engagées s’adaptant aux nouvelles pratiques agricoles. Dans d’autres régions, c’est la fermeture du paysage par la forêt qui menace et qui permet de prendre conscience du rôle de l’élevage dans la qualité́ des paysages. Dans ces terroirs, l’élevage et le pâturage sont les derniers remparts face à l’extension des friches. Enfin, alors que les agriculteurs sont de moins en moins nombreux, l’étalement urbain, la diffusion de l’habitat et les infrastructures, tendent à brouiller le paysage. Ces menaces sont reconnues d’autant qu’un fort attrait pour les paysages ruraux s’exprime dans les imaginaires citadins. Des politiques publiques (Politique Agricole Commune et ses mesures agri-environnementales, programmes dédiés des collectivités territoriales) ou des actions individuelles, cherchent à les contrecarrer. Ces outils visent notamment à soutenir l’élevage pour freiner la fermeture des paysages, favoriser des systèmes de production diversifiés (prairies, rotations...) ou améliorer l’intégration paysagère des nouveaux bâtiments agricoles. En parallèle, des outils de planification foncière visent à préserver les terres de l’urbanisation
Projets de paysages, projets de société
Loin d’être figé dans le passé, le paysage évolue tout en s’inscrivant dans le projet des éleveurs. D’une part, la dimension économique est évidente : le paysage aménagé doit concilier plusieurs fonctions. Il est à la fois le support d’une production qui se modernise et un « écrin » facilitant la commercialisation des produits et le tourisme sur ces mêmes territoires. Il contribue donc non seulement à légitimer les signes officiels de qualité et d’origine, mais aussi à dégager des plus-values pour des produits et services pouvant aller jusqu’aux activités d'accueil ou de restauration. D’autre part, la prise en compte des paysages comporte une dimension sociale, car le producteur apporte un service d’entretien et de prévention des risques naturels répondant aux demandes des citoyens. Par ses actions, il donne ou redonne une valeur paysagère et patrimoniale à son territoire et contribue à attirer une population permanente ou touristique à la recherche d’une qualité de vie. Enfin, le rôle positif de l’élevage sur l’environnement est de plus en plus connu, permettant, selon les lieux et les pratiques, un maintien de la biodiversité, le stockage de carbone dans les prairies ou encore la régulation des crues... Reste à œuvrer pour que ces services soient toujours mieux reconnus, voire rémunérés.
Note : Les illustrations, cartes et textes sont issus de L'Atlas de l'élevage herbivore en France aux Éditions Autrement. Ces éléments ne peuvent être utilisés pour un usage autre que personnel.
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