Mauro est un peu à l’image de beaucoup de jeunes qui font des études supérieures sans bien savoir la finalité. Il considère le programme Erasmus comme une topographie européenne du désir. Cela dit, sa curiosité naturelle le pousse à acheter « un lot de manuels de cuisine censés préparer au CAP ». C’est pourquoi, après un séjour berlinois, il se sent prêt à entamer « sa sortie de la latence, ce royaume de la jeunesse. »
Le portrait attachant d’une jeune et brillant Chef en devenir
Sur cette trame, qui pourrait s’apparenter à une sorte de quête personnelle du graal en cuisine, à travers la personnalité exubérante de son personnage, Maylis de Kerangal fait aussi son apprentissage des coulisses de la restauration. Et visiblement, elle y prend goût.
Restaurer les vivants
Dans « Chemin de tables » Maylis de Kerangal aborde le thème de la vocation par vagabondage. Celui qui conduit son héros des bancs de l’université à une arrière-salle d’une brasserie parisienne.
Ce roman initiatique nous entraîne aussi dans les coulisses d’un monde mal connu, entre strass et coquillettes, où « le cuisinier est devenu un personnage important de la société contemporaine, une star médiatique... les cuisines sont devenues des studios de télévision ». Mais, revers de la médaille, « pour devenir cuisinier, il faut savoir se faire un peu mal » et cette violence latente est tout autant physique que psychique.
Une quête permanente de l’étonnement
Mais le jeune chef n’est jamais là où on l’attend. Il plaque tout pour partir à Bangkok puis s’immerge dans la cuisine de rue en Birmanie « cette cuisine simple et populaire distribuée dans des bols et dégustée assis sur de petits bancs ». Il devient « garçon-boucher à Vanves et apprend à désosser les carcasses, à découper correctement la viande, à préparer les morceaux ».
Puis le voici reparti dans le tourbillon, désireux d’ouvrir un nouveau restaurant « une table qui réinventerait la commensalité. Le restaurant conçu non plus seulement comme le plateau où s’exprime la créativité glorieuse d’un seul, ... mais comme un lieu d’un rapport à l’autre et d’une possible aventure collective ». Là s’arrête le livre mais sans doute pas le destin de Mauro. Maylis de Kerangal en tout cas aura su nous rendre son personnage très attachant et probablement représentatif des attentes, des envies d’une nouvelle génération de chefs.
Une écriture en phase avec la réalité
Se pliant au jeu de la collection « Raconter la vie » dirigée par l’historien Pierre Rosanvallon, Maylis de Kerangal se situe à juste distance enter la fiction et le documentaire, grâce à une écriture en osmose avec son personnage et son activité. C’est ce qui ajoute à la véracité de son récit et nous donne à sentir le tempo en cuisine, transpiration et inspiration comprises.
P.S. : Qui se cache derrière le pseudonyme de ce jeune chef ? Qui est ce mystérieux Mauro, ce surdoué de la gastronomie au parcours atypique ? Maylis de Kerangal l’a bien rencontré et préserve son identité.
Qui sait..., peut-être le rencontrerez-vous au hasard d’une rencontre en salle (et d’un aveu de reconnaissance en paternité littéraire) ou au détour d’un « Chemin de tables » !
Un chemin de tables
Maylis de Kerangal
Editions Seuil
Date de parution : mars 2016
102 pages