La fête carnivore
Dans un proche futur, non déterminé mais pouvant se situer au milieu du XXIème siècle, à l’écart des villes, il existe une « zone dédiée à l’élevage bovin », dernier territoire de préservation d’un élevage ancestral, ultime pré carré d’un royaume perdu où l’homme et l’animal vivent en osmose.
Dans ces « espaces de mémoire et d’instruction », délimités comme des « zones de déprise », sorte d’enclos figé, un éleveur en particulier fait de la résistance avec Darius « auréolé de sa gloire de plus grand taureau reproducteur de tous les temps ». Une bête de 1400 kilos de muscles, de graisse et d’os qu’il va conduire à Mascate pour un concours qui le verra déchoir du podium où il pensait monter.
Le minotaure déchu de son Olympe
Cette chute en entraînant une autre, le héros, Frédéric, y verra une forme de rédemption salvatrice dans l’aboutissement d’un projet où, à l’aide d’une petite communauté, il fera en sorte que la fête carnivore ait un sens, celui d’une « alliance scellée autour du plaisir de partager de bonnes choses ». Une solidarité pour affirmer l’optimisme et se nourrir de convivialité ; un banquet qui instituera la fête carnivore comme un rite social.
La viande comme métaphore de la vie
Mais si l’union entre éleveurs de bovins et amateurs de viande est prometteuse, les apparences sont trompeuses. Dans ce conte d’anticipation, Catherine Véglio met avec brio en opposition, le monde des villes rongé par une urbanisation étouffante et celui des champs lui-même en proie au doute pour sa survie. Une situation paradoxale où la consommation de viande semble une incongruité avec une victime collatérale directe, le consommateur contraint à mâcher ou mastiquer une nourriture fade et sans saveur, que l’industrie alimentaire lui donne en pâture.
Comment en est-on arrivé là ?
« Plus de dix millénaires s’étaient écoulés depuis les premiers temps de l’élevage et désormais cette histoire pouvait s’arrêter ». C’est le constat que dresse l’auteur qui se glisse entre les lignes sous les traits d’une journaliste en quête de vérité aux marges de cette société presque secrète pour qui « l’opulence gourmande de la table réjouira toujours les pêcheurs assumés ».
Une ouverture à plusieurs futurs possibles
Ce qui est fort et original dans cette fiction, c’est que tous les thèmes abordés ici font écho à notre quotidien. « Un urbanisme « solutionniste » orchestré par les tenants de la « nouvelle arcologie », combinant les principes de l’architecture et de l’écologie » y est à l’œuvre. L’environnement, l’habitat, les énergies renouvelables, « un système vivant apte à réintégrer la biosphère », l’épuisement environnemental mais aussi les multinationales de l’agroalimentaire, les potagers en terrasses, les gratte-ciel agricole... tout ce qui est dans l’air du temps, fut-il pollué, y est en jachère d’un destin plausible.
Un plaisir gourmand de lecture
A tout cela, Catherine Véglio répond avec beaucoup de conviction narrative, une réelle fluidité du style, des personnages attachants, tout un cachant son érudition derrière des situations parfaitement imbriquées.
Cette fête carnivore est à la fois un hymne à la vie, une fête du cœur, où d’ailleurs le cœur à ses raisons que le corps n’ignore pas, ce qu’elle montre dans un récit souvent charnel et empreint de subtiles nuances de gris, de bleu et de rouge. C’est d’autant plus intéressant que pour un premier roman Catherine Véglio y fait montre d’une remarquable maîtrise de son sujet. Sans doute, le fruit de son expérience, et un peu plus, celui d’un talent indéniable à tisser des liens entre les personnages et à leur donner corps, mieux, à les faire de chair et de sang.
On peut l’apprécier au fil des chapitres d’un livre qui se lit d’une traite. Parce que « Les mangeurs sans éthique n’ont pas leur place au banquet carnivore », la bacchanale gustative de Catherine Véglio privilégie « les animaux (qui) sont entourés d’amour ». Sa conclusion en est éclairante «la fête carnivore continue, que votre nuit soit belle et douce ! ». Gageons que votre lecture le sera aussi.
- Lire notre interview de Catherine Véglio.
Un mot sur l’auteur
- Catherine Véglio : elle a démarré sa carrière comme journaliste au Courrier Picard, elle a ensuite travaillé pour plusieurs rédactions dans le domaine de la presse agricole et de l’agroalimentaire. Aujourd’hui journaliste indépendante, elle s’intéresse aux questions européennes, économiques et d’innovation. Outre sa connaissance des filières agricoles, elle a écrit plusieurs pièces de théâtre et signe ici son premier roman avec cette « Fête carnivore ». Un livre qui a déjà obtenu de nombreux échos positifs dans la presse et reçu le Prix de l’Académie de la Viande 2017.
La fête carnivore
Catherine Véglio
Éditions Lemieux
240 pages
Date de parution : août 2017