Elle a fait coïncider le fruit de sa thèse d’histoire avec la fonction qu’elle occupe aujourd’hui au sein du Syndicat mixte du Pays Charolais-Brionnais, Dominique Fayard est chargée de mission pour préparer la candidature au patrimoine mondial de l’UNESCO. Elle est aussi à l’aise sur l’histoire de ce territoire que sur les évolutions de la filière bovine charolaise au cours des XIXe et XXe siècles. Raison de plus pour évoquer le passé, le présent et l’avenir de la filière avec cette spécialiste qui a écrit récemment "Le commerce du bétail charolais : Histoire d’une filière bovine XIXe-XXe siècles" un livre-somme passionnant sur la question.*
Vos origines Brionnaises ont-elles été déterminantes dans le choix de votre thèse ?
DF : Disons que j’ai eu la chance de travailler sur un sujet qui me passionnait initialement et qui coïncidait avec une histoire familiale et un parcours personnel. C’est un heureux concours de circonstances, lié aux cours que je suivais avec le professeur Jean-Luc Mayaud dans le cadre de mes études à Lyon. J’étais en licence et il m’a parlé du marché de Saint-Christophe-en-Brionnais, ce qui m’a interpellé car j’étais proche de cette région. En fait, je voulais faire un sujet sur la vie rurale, l’histoire des campagnes et il est clair que si je n’avais pas été originaire du Brionnais je serai sans doute passée à côté. Mes grands-parents ayant été éleveurs ainsi que mon père, je baignais un peu dans ce milieu si bien qu’il m’a été plus facile de l’appréhender le moment venu, et d’en avoir peut-être certains codes.
Combien de temps avez-vous mis à écrire cette thèse et le livre qui en découle « Le commerce du bétail Charolais » ?
DF : Cette thèse, si j’inclus le travail préparatoire entre maîtrise et DEA, m’a pris une dizaine d’années pour un résultat final de 1200 pages qui ont été contractées en un peu moins de 400 pages, afin de rendre l’ouvrage plus lisible et surtout accessible à un large lectorat. J’ai pris du temps pour y parvenir car en parallèle de ma thèse j’ai aussi travaillé sur le terrain, ce qui m’apportait du concret. Cela a également ajouté de la maturité dans l’écriture étant donné les années passées sur le sujet.
Comment avez-vous procédé dans vos recherches pour aborder un tel sujet ?
DF : Je me suis beaucoup servi de documents in situ, de fonds d’archives, comme le fonds Giroux-Dauphin, du nom d’une famille que j’étudie dans l’ouvrage. J’avais procédé à l’étude des livres de comptes de Bernard Lorton et puis cette recherche effectuée, cela a commencé à être connu dans la région. J’ai pu ainsi aborder d’autres fonds d’archives et les étudier de près, si bien que d’autres familles m’ont fait confiance. C’est je crois aussi une façon de valoriser le travail de leurs ancêtres et de le replacer dans son contexte.
Comment se définit le Pays du Charolais-Brionnais par rapport à d’autres régions ?
DF : C’est une petite région à l’échelle nationale mais significative par son patrimoine et la culture qui s’est développée autour des bovins. Peu de gens en dehors du département la connaissent, puisque ce territoire représente 128 communes soit environ le quart sud-ouest de la Saône-et-Loire. Pourtant, cette activité d’élevage a connu son heure de gloire entre la deuxième moitié du XIXe et la première moitié du XXe siècle. La profession d’emboucheur, qui a aujourd’hui disparue, jouait un rôle important à cette époque et il en reste des traces, dans les mentalités, dans les particularismes locaux. Il y a quelque chose de particulier ici, l’esprit subsiste encore. Et l’étude des comportements passés permet de mieux saisir les mentalités aujourd’hui, y compris certaines rivalités. Les concours agricoles, l’élevage, la sélection, tout cela repose sur une culture plus ou moins visible qui perdure de nos jours, notamment avec le marché de St Christophe-en-Brionnais.
Quels ont été les impacts majeurs des évolutions sur cette filière ?
DF : Beaucoup d’exploitations ont disparu en dehors des inévitables bouleversements de ces cinquante dernières années. Cela a entraîné des changements profonds (taille des exploitations, regroupements, vieillissement de la population) qui amènent à présent à une crise pour certains, une mutation pour d’autres. Comment va-t-on gérer le départ de la génération des 50/60 ans ? La majorité des éleveurs a plutôt tendance à décourager ses enfants de continuer d’exercer ce métier, à cause des difficultés au quotidien, de la pénibilité, de la faible rémunération. Comment va se faire ce passage générationnel de flambeau ? Comment un exploitant peut-il reprendre 150 ou 200 hectares quand il a déjà sa propre exploitation à gérer ? Cela passe-t-il par des GAEC ? Faudra-t-il se regrouper à plusieurs exploitations, mutualiser les dépenses, les ressources ? La réponse à ces questions est essentielle à l’avenir de ce territoire.
Quel est votre rôle dans la candidature portée par le Pays du Charolais-Brionnais au classement de l’Unesco ?
DF : Je travaille depuis 2013 sur le dossier de candidature à l’Unesco sur « le développement d’une race domestique universelle exceptionnelle dans le contexte particulier du Charolais-Brionnais ». Cette candidature se veut porteuse de valeurs pour un territoire qui bouge et évolue, avec son environnement. Mon rôle consiste donc à coordonner le projet et les travaux de recherches en cours (inventaire du bâti, description et évolution du paysage...), à fédérer des énergies et à collecter de l’information sur tout ce qui se voit, tout ce qui vit dans cette région et lui donne sa singularité.
Quel est votre regard sur la situation actuelle de la filière bovine ?
DF : Je suis réaliste sur l’avenir. Quand on voit ce qui s’est passé, en terme d’effectifs, de statistiques, on ne peut que s’interroger sur ce qui se passe et va se passer par rapport aux regroupements, à l’extension grandissante de certaines exploitations. On atteint un stade où un éleveur ne peut pas raisonnablement faire vêler plusieurs centaines de vaches. Et ces éleveurs ne peuvent pas, ou plus, vivre seulement de la vente de leurs produits. Va-t-on vers des systèmes où les éleveurs vont se regrouper ? Je crois que les éleveurs dépendent trop de ce qui se passe en aval et cette dépendance leur est préjudiciable. Reste une chose qui me semble évidente : l’élevage a un rôle à jouer. Il participe à l’entretien du paysage et ça ne peut pas se limiter à des lieux clos, détachés de cet environnement à cause d’un élevage intensif.
Le marché de Saint-Christophe-en-Brionnais a-t-il encore un rôle significatif ?
DF : Oui, le marché au cadran fonctionne bien. Si l’avenir n’est peut-être pas au développement des marchés à bestiaux, ils continueront à jouer leur rôle parce que c’est un mode de commercialisation qui convient bien à certains éleveurs. Ils y vont pour se retrouver, pour comparer, pour voir les cours. C’est aussi un exercice de la profession en contact avec la réalité du terrain.
La consommation de viande baisse mais les amateurs de viande affirment haut et fort leur goût, n’est-ce pas paradoxal ?
DF : La population croît, la demande se diversifie, quel type de viande veut le consommateur et à quel coût ? On raisonne à l’échelle mondiale alors qu’auparavant c’était à l’échelle d’une région voire d’un pays. Cette globalisation change la donne. En parallèle, la production de viande est attaquée par certains mouvements, on remet en cause sa consommation, on parle de gaz à effet de serre, il y a des lobbies puissants. Que va-t-il se passer ? Le monde de l’élevage est dans l’expectative, entre résignation et inquiétude, avec cependant l’envie de défendre cette part de notre patrimoine historique, alimentaire, gastronomique.
Dans ce contexte, le Charolais - et sa viande étendard, la Charolaise - ne devrait-il pas avoir le vent en poupe ?
DF : Certes, il y a des bouchers vedettes qui sont des porte-paroles, une envie de viande qualitative, mais cela ne profite pas comme cela devrait au Charolais. La faute a une atomisation et une faible organisation. Il n’y a pas un Charolais mais plusieurs Charolais et pour les consommateurs, c’est assez difficile à apprécier. Il y a sans doute trop de labels, chacun défend un peu son pré carré, son organisme, au résultat cela paraît compliqué et les consommateurs s’y perdent. Il faut que la race Charolaise et les éleveurs se fassent mieux entendre, qu’ils soient plus intelligibles, avec un discours clair, et qu’ils affirment la spécificité de leur région. Alors, les consommateurs s’y retrouveront. Car c’est une région qui a gardé son potentiel et qui a toujours une belle image de marque. C’est pourquoi je suis confiante sur le dossier de l’Unesco. S’il avance bien, cela devrait rejaillir positivement et apporter aux différents acteurs, à la filière bovine une reconnaissance internationale.
*Le commerce du bétail charolais : Histoire d’une filière bovine XIXe-XXe siècles - Presses Universitaires de Rennes/ Presses Universitaires François Rabelais (2014)