L’être-bœuf

Texte

La littérature fait souvent appel aux métaphores animales mais s’empare rarement des thèmes liés à l’animalité voire à notre relation directe à l’animal, et en particulier le bœuf, jusque dans sa consommation. C’est ce que s’emploie à faire Richard Millet, auteur d’une œuvre déjà importante, à l’écriture très physique et charnelle.

« La viande n’ayant plus droit de cité en littérature, sinon chez Jouhandeau, dont le père exerçait le métier de boucher… Seuls un Américain, un Néo-Zélandais, un Argentin, adossés à l’absence de passé historique et à une forme d’innocence écologique, pourraient réintroduire les bovins dans le roman, lequel a fait du « propre » de l’homme son domaine exclusif. »

L’Être-bœuf est un court récit qui tient à la fois des souvenirs, ceux de l’enfance de l’auteur dans le Limousin où il est né, de l’approche mythologique, avec une digression sur le Minotaure, et d’une confession autour de cet animal totémique qui le fascine et qu’il place en majesté, autant qu’il aime manger une côte de bœuf : « Pour la viande bovine, justement, j’ai à présent un goût extrême… la viande de bœuf s’entend, que je consomme saignante ».

C’est ce rapport intime à la viande, au corps, à la vie, que Richard Millet veut partager avec le lecteur : « c’était le Bœuf, l’inattendue épiphanie de la bête dont nous étions en train de manger une côte ». Pour cela, il n’hésite pas à convoquer les divinités grecques, « Io, belle prêtresse, changée en génisse » dont le nom a donné Bosphore qui signifie « Passage du bœuf », et à nous inviter dans un pays voisin qui lui est cher et où il a longtemps vécu, le Liban.

C’est là, à Beyrouth, que sa géographie personnelle embrasse les cultures et qu’il se laisse aller à cette confession sur sa condition d’écrivain : « l’écrivain a quelque chose d’un garçon boucher : il rompt le silence, il ébruite, il tranche la jugulaire des bêtes, fait couler le sang, ouvre les corps, possède un caractère tout à la fois criminel et sacré ».

Cette réflexion que porte Richard Millet sur le bovin dans ses différentes représentations où, justement, le sacré et le nourricier se croisent, est aussi une façon de considérer la place que nous lui accordons aujourd’hui, dans nos sociétés consommatrices. Peut-être faudrait-il dire conso-matrices. Car ce bœuf élevé au rang de Minotaure est bien une matrice civilisationnelle, une sorte d’image christique que l’on retrouve dans Le Bœuf écorché de Rembrandt, peint en 1665 :« à l’époque de deux Leçons d’anatomie qui montrent des corps étendus, lesquels rejoignent les Christs morts de Mantegna, de Holbein, de Champaigne… Contemporains de ceux qui ont peint des bœufs écorchés, en hommage au sien : Chaïm Soutine et Francis Bacon. »

Parce qu’il aborde des thèmes d’actualité tels que le traitement de l’animal et le rapport des hommes à la nourriture, le livre de Richard Millet, tout en prenant des chemins de traverse, offre un point de vue qui vaut de s’y arrêter et de méditer.

 

L'être-boeuf

L’être-bœuf

Richard Millet

Editions Pierre-Guillaume de Roux
Date de parution : octobre 2013
Format : 125 x 195 mm

96 pages