Omnivore par nature, nous consommons des aliments aussi bien d’origine végétale qu’animale. Cependant, l’auteur le précise dès le début de l’ouvrage : « Aujourd’hui, le débat sur la consommation de viande fait rage entre partisans et adversaires » ajoutant « Dans notre société occidentale, la viande a de moins en moins bonne presse et force est de constater que ne cessent d’être prônés de nouveaux régimes. »
Or si la viande suscite de nombreuses controverses, elle n’en est pas moins partie prenante de notre longue histoire. C’est cet écheveau que Marylène Patou-Mathis, directrice de recherche au CNRS, va patiemment dérouler et étudier, avec un souci du détail qui rend son ouvrage passionnant de bout en bout.
L’histoire de la viande s’inscrit comme un marqueur de notre évolution
En remontant à nos origines, on découvre que la consommation de viande est sans aucun doute un facteur déclencheur du processus d’hominisation. Avec une suite logique, la chasse qui va favoriser l’émergence de l’Homme sociétal.
Ce long cheminement, c’est ce à quoi s’est attelée Marylène Patou-Mathis avec toute sa connaissance de préhistorienne, qui lui permet de chevaucher les millénaires et de passer avec aisance de l’Homo Habilis, il y a deux millions d’années à notre ancêtre Homo Sapiens, chasseur-cueilleur apparu il y a un peu plus de 100 000 ans. Ces sauts générationnels donnent à l’auteur des arguments pour confirmer le rôle prééminent de la viande au cours des âges.
« Les rituels de consommation existent dans la plupart des sociétés, cette constance atteste que l’Homme, en mangeant, assimile non seulement des calories, mais également les qualités ou les défauts supposés des aliments ingérés. L’idée qu’on est ce que l’on mange est quasi universelle. D’où l’importance des choix alimentaires. »
En ce temps-là, pour l’Homo sapiens comme pour les Néandertaliens, qui cohabitent, le mammouth est une véritable grande surface, un garde-manger : « La viande de mammouth fournissait de la graisse et de la moelle à profusion. Avec ses deux tonnes de viande, il était la nourriture providentielle ». De quoi alimenter le groupe pendant des semaines et plus, selon sa population.
Brassant les époques et voyageant à travers les continents, Marylène Patou-Mathis aborde tous les sujets liés à la viande animale mais aussi à la chair humaine lors de repas cannibales. Elle nous rappelle que « le cannibalisme plonge ses racines dans notre plus lointain passé et qu’il a perduré jusqu’à aujourd’hui ». N’est-il pas pour Freud, « à l’origine du mythe expliquant la vie sociale, le meurtre du père par les fils d’une horde primitive » ?
Le rôle vital de la viande dans toutes les civilisations
Ce qui ressort de cet ouvrage, c’est le rôle essentiel de la viande dont l’étymologie latine (vivanda, vivere) est on ne peut plus explicite : la vie ! La viande avait alors « un sens très large de nourritures animales et végétales, solides ou liquides » au point que le poisson était appelé « viande de carême ».
D’ailleurs le grand lexicographe Littré, donne en 1873 une définition du mot viande « tout ce qui est propre à entretenir la vie » que n’auraient pas désavoués nos ancêtres dans de par son évidence. Une relation complexe qui place l’animal au cœur de nos préoccupations, physiques et métaphysiques dont témoigne l’art pariétal et tous les récits où la figure animale est omniprésente, indissolublement associée à la nature humaine, des divinités égyptiennes au Minotaure.
A travers ces « Mangeurs de viande, de la préhistoire à nos jours », c’est une histoire de l’humanité qui apparaît en filigrane. Car la viande est un nutriment mais elle est également porteuse de symboles, de force, de fougue, de puissance, de richesse. C’est bien pourquoi elle occupe une place à part dans les mythes et les croyances. De quoi nourrir le débat autour de son imaginaire et de sa consommation.
Un mot sur l’auteur
Marylène Patou-Mathis : Directrice de recherche au CNRS, préhistorienne, spécialiste des comportements des Néandertaliens, à qui elle a consacré un ouvrage qui fait autorité, « Néandertal, une autre humanité » en 2006, Marylène Patou-Mathis est Vice-Présidente du Conseil scientifique du Muséum national d’histoire naturelle et membre du Comité d’orientation du Musée de l’Homme. Outre « Mangeurs de viande, de la préhistoire à nos jours », elle a aussi publié « Histoire de mammouth » chez Fayard et « Néandertal, de A à Z » aux Editions Allary.
Mangeurs de viande
Marylène Patou-Mathis
Editions Perrin (502 pages)
Collection Tempus
Date de parution : août 2017