Anne Mottet est chargée de politiques d’élevage (Livestock Policy Officer) à la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture). Elle fait partie de l’équipe qui a rédigé le rapport « Tackling climate change through livestock » réévaluant les émissions de gaz à effet de serre de l’élevage et des productions animales au niveau mondial ainsi que les leviers d’action disponibles.
Elle a été auparavant agroéconomiste à l’Institut de l’Elevage pendant plusieurs années après des études d’agronomie à Paris et une thèse à l’INRA en Sciences agronomiques et fonctionnement des agroécosystèmes, dont le sujet était « transformations des systèmes d’élevage depuis 1950 et relations entre élevage et environnement ». Elle revient pour nous sur ce récent rapport de la FAO.
Quels sont les grands enseignements à tirer de ce nouveau rapport pour la FAO ?
1) Les émissions du secteur sont importantes : 7,1 Gig tonnes de CO2 équivalent, c’est-à-dire 14,5% des émissions liées à l’activité humaine. Les plus gros contributeurs sont la viande bovine et le lait (41 et 19% des émissions du secteur) et les sources d’émissions principales sont la production d’aliment du bétail (45% du total), la fermentation entérique des ruminants (39%) et les effluents d’élevage (10%).
2) Des réductions d’émissions significatives sont possibles en élevage, grâce à une plus grande diffusion de pratiques existantes. L'adoption plus répandue des meilleures pratiques et technologies en matière d'alimentation, de santé et d'élevage des animaux, et de gestion du fumier- ainsi que de technologies actuellement sous-utilisées telles que les générateurs de biogaz et les dispositifs d'économie d'énergie - pourrait aider le secteur à réduire ses émissions de gaz de 30 pour cent grâce à des gains d'efficacité et moins de gaspillages d'énergie.
3) L’efficience des systèmes d’élevage est la clé pour réduire les émissions.
4) L’atténuation et le développement, un pari gagnant-gagnant, puisque la plupart des interventions recommandées apportent des bénéfices à la fois environnementaux et économiques. Les pratiques les plus efficientes ont un impact positif sur la productivité et peuvent ainsi contribuer à améliorer l’efficacité alimentaire.
5) Un besoin urgent d’action collective et concertée, puisque ce n’est qu’en faisant intervenir toutes les parties concernées -secteurs privé et public, société civile, chercheurs et universités, organisations internationales- que nous serons à même de mettre en œuvre des solutions adaptées à la diversité et à la complexité du secteur.
Quelles différences par rapport à Livestock Long Shadow ?
Ce rapport se concentre sur les émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’élevage. Il se base sur une méthodologie plus élaborée, à partir du modèle GLEAM (Global Livestock Environemental Assessment Model) développé par la FAO qui s’appuie sur une méthodologie de type TIER 2 (IPCC) qui tient compte des différences de pratiques entre systèmes de production.
Cette méthode permet une analyse beaucoup plus fine entre espèces, systèmes, régions et zones climatiques mais également entre sources d’émissions (aliments du bétail, fermentation entérique etc.)
Le volume total d’émissions est similaire à la première estimation publiée dans Long Shadow. Mais la contribution aux émissions totales (14.5%) est revue à la baisse par rapport aux 18% de Long Shadow. De même les parts respectives des différentes sources d’émissions ont été réévaluées, en particulier la fermentation entérique et les changements d’utilisation du sol.
Les autres impacts environnementaux de l’élevage tels que la biodiversité, les nitrates, l’eau… qui faisaient partie du rapport Livestock Long Shadow feront l’objet de nouveaux développements dans le futur.
Quels sont les points forts et les points faibles de l’élevage de ruminants en France au regard de cette analyse ?
Les points forts sont la diversité des systèmes et conséquences en terme d’adaptabilité et de potentiels d’atténuation divers et l’intensité d’émission déjà relativement faibles par rapport à d’autres pays/régions du monde, mais des gains sont également possibles telles que l’importance de la production de viande bovine à base de fourrages [dont herbe – NDLR], dans les régions ou les cultures ne sont pas une alternative.
Les points faibles sont l’importance des émissions liées aux effluents d’élevage et l’importance des importations de protéines végétales [soja notamment – NDLR] pour l’alimentation animale.
Au-delà des gaz à effet de serre, quels indicateurs faudrait-il prendre en compte pour appréhender l’impact global de l’élevage sur l’environnement ?
La biodiversité, les cycles de l’azote et du phosphore, l’utilisation d’eau, la dégradation des sols, l’énergie…
L’élevage de ruminants a-t-il selon la FAO des impacts positifs ?
Bien sûr l’élevage a également des impacts positifs sur l’environnement, au travers de la valorisation et de la gestion des surfaces en herbe par exemple, des conséquences en termes de qualité des eaux, la biodiversité, la lutte contre l’enfrichement, l’érosion etc. Mais au-delà de l’environnement, l’élevage est aussi un secteur essentiel au développement économique (40% du PIB agricole mondial, avec une croissance de 3.5% par an). Il assure la subsistance de près de 800 millions de pauvres dans le monde, c’est un levier de développement très important. Sans oublier que l’élevage produit 13% des calories alimentaires consommées dans le monde et 31% des protéines. Il permet aussi de convertir des ressources fourragères en alimentation : 80% de l’alimentation du secteur de l’élevage n’est pas consommable par l’homme (fourrages, coproduits etc.).
Sur les questions d’évaluation environnementale, la FAO a engagé un partenariat avec le secteur privé, notamment la filière viande ? Qu’apporte ce partenariat ? Comment se passe concrètement le travail ?
Depuis la publication de Lifestock Long Shadow, la FAO a développé une collaboration avec les acteurs du secteur de l’élevage, en particulier le secteur privé. Cela permet de travailler conjointement sur les méthodes d’allocation par exemple ou encore sur les limites des systèmes à prendre en compte. Le secteur privé de l’élevage a depuis développé des évaluations de ses impacts environnementaux et peut ainsi contribuer par son expertise au développement de méthodologie homogènes pour l’évaluation des impacts environnementaux du secteur, dans le cadre du partenariat « LEAP » (Livestock Environmental Assesment and Performance Partnership ) . Le travail avec le secteur privé permet également de favoriser le dialogue politique dans le cadre du Global Agenda of Action.
Les filières ruminants françaises et leurs instituts techniques «militent» pour que soit pris en compte le stockage de carbone, cela vous semble-t-il pertinent ? Pourquoi ? Est-on en bonne voie?
Le stockage de carbone est estimé dans le rapport que nous venons de publier pour l’Europe. Il s’agit de 11,5 millions de tonnes plus ou moins 69 millions de tonnes de CO2 équivalent ! C’est-à-dire que selon les conditions et la gestion on peut avoir du stockage ou de l’émission. C’est significatif et suffisant pour montrer l’importance des prairies dans le stockage de carbone, mais assez incertain comme résultat. La difficulté réside dans la très grande variabilité de gestion des pâturages mais également dans la disponibilité de données fiables sur les surfaces en prairies. Nous avons aussi travaillé avec l’Université du Colorado afin d’estimer le potentiel de stockage au niveau global suivant des changements de pratiques comme l’optimisation du taux de chargement, ou encore le semis de légumineuses. Le potentiel est de 0.4 à 0.5 Gt, et il peut aussi résulter en une hausse de la productivité des prairies.
Quelle suite donner à des travaux ?
Une mise à jour du modèle GLEAM avec les données les plus récentes (2010), l’évaluation d’autres impacts grâce à GLEAM (biodiversité, nitrates etc) mais aussi des études régionales comme la résilience des systèmes d’élevage et leur adaptation au changement climatique, dans les zones sèches africaines pour commencer. Et continuer les travaux en lien avec le secteur privé, la recherche, les gouvernements et la société civile pour l’évaluation environnementale du secteur de l’élevage, en particulier la mise au point de méthodes et indicateurs harmonisés.