Le repas à la française

Le modèle de repas à la française est-il toujours d’actualité ? Quelle place y tient la viande ?

Texte

Interview de Pascale Hébel : « La viande reste un marqueur fort dans notre consommation »le repas à la française pascale hébel interview

Directrice du département Consommation du Credoc (Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de Vie), Pascale Hébel est l’auteur du livre Comportements et consommations alimentaires en France paru aux éditions Lavoisier. Elle intervient dans les médias sur les questions de société et de consommation pour partager sa connaissance et son expertise. Elle a répondu à quelques questions pour nous éclairer sur la place du repas et de la viande dans nos habitudes alimentaires.

Quelle est encore aujourd’hui la place du repas chez les Français ?

PH :Toujours très grande et c’est même une constante chez nos compatriotes. En France, on prend trois repas et il y a très peu de variabilité malgré les évolutions de mode de vie, ce qui n’est pas le cas dans les pays Anglo-Saxons, en Scandinavie, où certains se limitent à un ou deux repas et d’autres en prennent 8 par jour. Et s’il y a moins d’obésité en France, c’est du fait de cette tradition, d’un repas mieux équilibré. La France est d’ailleurs l’un des pays où la dépense alimentaire est la plus élevée. Certes, le temps consacré au repas se raccourcit, le repas lui-même est parfois plus simple, cependant, il existe et résiste toujours malgré les contraintes liées à la vie professionnelle.

Ce modèle Français est-il destiné à perdurer ou constatez-vous des évolutions qui tendent à le mettre en brèche ?

PH : Un chiffre est éloquent : 95% des Français déjeunent entre midi et 14h30, autant dire la quasi-totalité de la population, excepté ceux qui ont un travail décalé (par exemple le travail de nuit). Et plus de la moitié (53%) se retrouvent autour de la table à 12h30 précises, comme si une horloge biologique sonnait l’heure du déjeuner.
Ce qui évolue, c’est la qualité. On observe une baisse de la diversité alimentaire mais nous conservons néanmoins une palette de goûts très large, ancrée dans nos terroirs et qui correspond à notre culture, à ce qui fait la gastronomie française.

Quelle est la spécificité du mode de consommation français par rapport à nos voisins européens?

PH : A la question du manger à table il faut associer aussitôt la notion du parler à table. C’est même un prétexte pour se parler car on parle aussi de ce que l’on mange. L’art de vivre est aussi celui du bien vivre. Même si le dicton nous incite à ne pas parler en mangeant, nous aimons considérer le repas comme un moment de convivialité. On mange ensemble le même plat que ses voisins de table en famille, entre amis. C’est important dans notre approche du repas, dans notre façon de le vivre. On observe d’ailleurs que l’espérance de vie des françaises et des français est l’une des plus élevées, supérieure à nos voisins y compris l’Italie ou l’Espagne, avec lesquels nous partageons pourtant certaines habitudes et dont nous sommes les plus proches.

Les jeunes ont-ils encore le goût de ce repas ou bien le remettent-ils en cause ?

PH : Toute les études montrent que les jeunes accordent aussi une place importante au repas, parce qu’ils sont élevés dans cet esprit, dans cette communion d’un repas partagé. Cela dit, il faut distinguer les enfants qui sont à table avec leurs parents ou dans le système scolaire, les adolescents, plus rebelles à un certain ordre, les jeunes adultes, qui vont rentrer dans le rang et conserver toute sa place au repas. Pour le dîner, si les plus âgés sont à table plus tôt, quelle que soit l’heure, et le journal de 20h en est le témoin, le reste de la famille continue d’envisager le repas comme un lieu d’échanges. En définitive, hormis l’adolescence, période charnière où le comportement peut être contestataire, sans que cela n’entraîne par la suite de rupture, on constate que chacun, passé cet âge, réintègre l’habitude alimentaire. L’institution publique l’a d’ailleurs bien compris en cherchant à maintenir ce lien dans les écoles aussi bien qu’à l’université pour faire des cantines des lieux où alimentation rime avec discussion.

La viande occupe-t-elle une place toujours aussi structurante dans le repas ?

PH : Oui, la viande est un marqueur fort. Elle est incontestablement plus intégrée que d’autres éléments et fait partie de cette tradition du repas français. Et si on constate une baisse de sa consommation, c’est aussi parce qu’on évolue vers un repas plus ouvert vers un mélange des aliments, un repas composé de plats plus diversifiés. De ce fait, la part de la viande diminue mais elle constitue quand même la base du repas.

Le mouvement végétarien gagne-t-il du terrain au détriment de la consommation de viande ?

PH : Pas vraiment. Il y a une résistance forte, culturelle et culinaire. Les mouvements végétariens ne gênent pas. Pour la grande majorité, le repas est festif et cela passe principalement par la viande. Cela dit, dans la mesure où l’on dispose de moins de temps, la viande doit s’adapter et il faut proposer aux consommateurs des plats et des cuissons qui tiennent compte de ces évolutions. En réalité, on est et reste omnivore et on voit bien qu’il est difficile de se passer de la viande.

oct. 2012.